On a toujours construit des navires au bord de la Tamise, la construction navale étant l’une des industries les plus précoces de l’humanité. Les premiers chantiers furent sans doute développés à proximité de l’actuelle City de Londres. Il semblerait cependant qu’ils aient quitté la ville aux 11e et 12e siècle pour s’installer plus en aval. L’une des raisons majeures de cette re-localisation serait l’important risque d’incendie dans une ville alors faite de bois et de chaume.

Les premières mentions écrites d’une activité de construction navale sur la Tamise remontent à 1297. Mais c’est entre 1512 et 1915 que l’industrie connut son âge d’or, transformant Londres en centre mondial de construction navale. En l’espace de quatre siècles, plus de 5000 navires furent lancés dans la Tamise depuis les Royal Dockyards à Deptford et Woolwich et depuis de nombreux autres chantiers privés le long des rives.

Le plus grand navire jamais construit à Londres fut le Great Eastern, conçu par Isambard Kingdom Brunel en 1858, ingénieur révolutionnaire et pionnier de la Révolution industrielle en Angleterre, notamment dans le domaine des transports. Après avoir conçu et réalisé de nombreux ouvrages industriels pour les chemins de fer (ponts, tunnels,..), il se lança dans l’ingénierie des bateaux à vapeur, une invention du début du 19e siècle.

the great eastern plaque commemorative

Plaque commémorative à Burrells Wharf, dans l’arrondissement londonien de Tower Hamlets.

Initialement baptisé Leviathan, le Great Eastern était un paquebot transatlantique gigantesque, le plus grand navire jamais construit jusqu’alors, avec une capacité de 4000 passagers.

construction du great eastern

Construction du Great Eastern

Le navire fut conçu en partenariat avec le principal architecte naval de l’époque: John Scott Russell, avec qui Brunel avait déjà collaboré sur deux autres navires. Il fut construit sur les bords de la Tamise, dans les chantiers navals de Millwall, situés en aval du Pont de Londres tandis que les machines furent développées par James Whatt & Co. Ltd à Birmingham.

salle a manger Great Eastern

L’une des salles à manger du Great Eastern.

 

Le Great Eastern a longtemps détenu le record de plus grand navire au monde. Le paquebot mesurait 211 mètres de long, 25 mètres de large et 18 mètres de haut. Il pouvait effectuer un voyage entre la Grande-Bretagne et la côte est des Etats-Unis sans réapprovisionnement en charbon. Innovation majeure pour l’époque, le navire fut entièrement construit en acier, avec une double-coque dont les plaques furent réalisées en atelier puis assemblées et rivetées à la main.

great eastern lancement

The Great Eastern, juste avant son lancement.

 

La construction nécessita: 400 marteaux, 10 000 tonnes de fer, 30 000 plaques de tôle d’acier de 2,20 cm d’épaisseur, 3 millions de rivets de 2,5 cm d’épaisseur ajustés à la main par 200 riveteurs. Au total, 2 000 ouvriers furent mis à contribution pendant près de 3 ans à raison de 6 jours par semaine et 12 h par jour.

Le Great Eastern était tellement long qu’il dut être lancé sur le côté, la Tamise n’était tout simplement pas assez large !

Site de lancement du Great Eastern vu du ciel, à Burrells Wharf, Isle of Dogs.

Site de lancement du Great Eastern vu du ciel, à Burrells Wharf, Isle of Dogs.

 

Bien que le navire fût impressionnant sous d’innombrables aspects, la carrière du paquebot ne connut jamais de réel succès. Le navire roulait trop et supportait mal le gros temps sur l’Atlantique, ce qui rendait la traversée très inconfortable. Ce fut aussi un échec commercial, car le Great Eastern était moins rapide que des navires plus petits et plus maniables. En 4 ans, sans jamais faire le plein de passagers, le paquebot n’effectua que 12 voyages, ponctués de nombreux accidents et incidents, ce qui coûta une fortune à la compagnie.

La Great Ship Company se débarrassa donc du navire en 1865. Le Great Eastern fut alors reconverti pour poser le premier câble transatlantique sous-marin. En fin de vie, l’ancien paquebot servit d’attraction publicitaire et touristique, jusqu’à sa démolition en 1889.

Jules Verne, qui effectua à son bord une traversée en avril 1867, lui dédia son roman Une ville flottante, paru en 1871.

Une ville flottante jules vernes

Victor Hugo lui rendit également hommage dans deux très longs poèmes, Pleine Mer et Plein Ciel, dans La Légende des siècles.