Au tournant du 19e siècle, l’Empire Britannique était en pleine expansion. De grandes inventions voyaient alors le jour. L’arrivée de la machine à vapeur accéléra le développement industriel et le commerce s’intensifia. Les conséquences pour le trafic sur la Tamise furent pour le moins catastrophiques, puisqu’aucune véritable réglementation n’avait été mise en place jusque là. Les accidents et les pillages se multiplièrent. Le chaos s’empara du Port de Londres, qui se lança à la recherche de sites susceptibles d’accueillir de nouveaux docks, plus larges et plus profonds. La construction de l’East et West India Docks en 1802 et 1803 ne suffit pas à réduire la pression. La situation nécessitait une solution plus radicale.
C’est alors qu’un groupe d’entrepreneurs, sous l’impulsion de l’ingénieur George Parker Bidder, lança l’ambitieux projet de construction des plus grands et plus profonds docks du monde. Londres pourrait ainsi répondre à l’expansion du trafic de marchandises pour au moins 100 ans.
En 1847, Bidder avait été l’instigateur d’une ligne de chemin de fer entre Stratford et North Woolwich, surnommée par les critiques Bidder’s Folly, la folie de Bidder. Il fut à nouveau pris pour un illuminé en annonçant l’emplacement choisi pour son projet de docks: les marécages à l’est de la ville, mieux connus sous le nom de Land’s End.
Ce projet pharaonique fut une réelle prouesse d’ingénierie. Des centaines d’hommes et de machines travaillèrent sans relâche pour délivrer le projet dans le délai imparti. Le Victoria Dock fut inauguré en 1855. Il affichait une profondeur de 13 mètres. On y accédait par une une écluse monumentale. Il fut équipé le long des quais de grues dernier cri et put accueillir les nouveaux bateaux à vapeur cuirassés.
Le Victoria Dock profita de l’interdiction des activités nuisibles au centre de Londres, qui poussa de nombreuses entreprises aux confins de la ville. La première à s’installer sur le site, avant même son inauguration, fut la manufacture de vêtements imperméables de Samuel Silver, en 1852. Le succès de cette manufacture donna plus tard le nom de Silvertown à la zone qui l’entourait. L’ingénieur Bidder, croyant dur comme fer à son projet, s’était par ailleurs empressé d’acheter les terrains le long de son chemin de fer, ce qui s’avéra une très belle opération commerciale.
L’expansion de la zone fut telle que la construction d’un deuxième dock s’avéra nécessaire. Ouvert en 1880, l’Albert Dock impressionna par ses nouveautés technologiques : une ligne ferroviaire jusqu’au bout des quais, des entrepôts réfrigérés pour le stockage de denrées périssables et même l’éclairage électrique !
Désormais reliés au réseau ferroviaire et capables d’accueillir les plus gros navires du monde, les Victoria et Albert Docks devinrent rapidement les docks les plus importants de la ville. Des centaines de milliers de cargaisons de céréales, de tabac, de viande, fruits et légumes furent déchargées sur les quais et entreposées dans de gigantesques silos et entrepôts frigorifiques.
Des centaines de navires débarquaient chaque mois des dizaines de milliers de passagers venus des quatre coins du monde. Les opportunités de travail étaient illimitées, ce qui entraîna un boom dans la construction de logements. De nombreux villages virent ainsi le jour, comme Hallsville, Canning Town et North Woolwich.
L’année 1917 marqua cependant un tournant dans la folle expansion des docks. Le 19 janvier, 50 tonnes de TNT explosèrent dans l’usine à munitions de Brunner Mond & Co. à Silvertown, faisant 73 morts et détruisant 70.000 bâtiments. Ce fut la plus grande explosion accidentelle de l’histoire de Londres.
Un dernier dock fut malgré tout encore construit en 1921, le King George V Dock. À cette occasion, le groupe de 3 docks reçut le titre “Royal”. À eux trois, les Royal Docks couvraient un espace fluvial d’un kilomètre carré et une superficie commerciale de 4,5 km2.
Bien que fortement endommagés par les bombardements allemands pendant la Deuxième Guerre, les Royal Docks purent poursuivre leurs activités commerciales. Les docks avaient à l’origine été construits pour servir les intérêts de la ville de Londres pendant plus de cent ans. Il en fut ainsi, mais guère davantage. La deuxième moitié du 20ème siècle allait marquer leur inexorable déclin, causé par l’arrivée du fret conteneurisé.
Cette nouvelle méthode de transport nécessita des navires encore plus grands qui n’arrivaient hélas pas à naviguer jusqu’aux Royal Docks. Des grands ports à conteneurs furent développés plus près de l’embouchure de la Tamise et progressivement les Royal Docks virent leur trafic se réduire. Le dernier navire marchand fut chargé le 7 décembre 1981. Des milliers de travailleurs perdirent leur emploi, ce qui plongea toute une communauté dans la pauvreté.
Très rapidement, la London Docklands Development Corporation fut constituée avec pour unique objectif la régénération des anciens Royal Docks. En 1987 fut lancé le Docklands Light Railway (le DLR), un réseau de métro léger, desservant le quartier des docks et l’est de la ville. Canary Wharf sortit de terre et l’aéroport London City Airport fut inauguré, utilisant le quai central comme piste. Le centre d’exposition ExCel ouvrit ses portes et l’Université de East London accueillit ses premiers étudiants au début des années 2000. L’Emirates Air Line, un téléphérique au-dessus de la Tamise, vous offre depuis 2012 un magnifique panorama des Docklands.
D’ici 2020, tous les terrains et bâtiments des anciens Royal Docks auront trouvé une nouvelle destination. Un nombre impressionnant de bars, restaurants et commerces accueillent aujourd’hui le grand public là où se pressaient jadis navires, dockers et marins.