Au début du 19e siècle, la ville de Londres connut le besoin pressant d’une nouvelle connexion entre les rives nord et sud de la Tamise, afin de relier les docks en pleine expansion de part et d’autre de la rivière. Quelques tentatives de tunnels sous la Tamise furent amorcées, notamment en 1799 par l’ingénieur Ralph Dodd et en 1805 par un groupe de mineurs venus des Cornouailles. Mais au terme de nombreuses inondations, les ingénieurs de l’époque conclurent qu’un tel tunnel était impossible à réaliser.

Ne pouvant se résoudre à cette conclusion, l’ingénieur anglo-français Marc Isambard Brunel continua à développer des nouvelles méthodes de forage. En janvier 1818, il déposa un brevet pour un système de tunnelier. C’était un bouclier renforcé de fonte derrière lequel les mineurs travaillaient dans des compartiments individuels (voir ci-dessous), creusant le tunnel de face. Au fur et à mesure du travail de forage, le bouclier était avancé tandis que les parois du tunnel étaient cerclées d’anneaux de fonte et tapissées de briques.

Marc Isambard Brunel

Marc Isambard Brunel

L’invention de Brunel fut à la base des boucliers utilisés plus tard pour le creusement du métro de Londres et de nombreux autres tunnels. Brunel était tellement convaincu qu’il parviendrait à percer le premier tunnel sous la Tamise qu’il écrivit à tous les notables susceptibles de pouvoir financer son initiative. En février 1824, il ouvrit une souscription de 2128 actions de 50 livres sterling chacune, qui trouvèrent toutes preneurs. Et en juin de la même année la Thames Tunnel Company était constituée. Le chantier allait pouvoir débuter.

Tunnelier de Marc Isambard Brunel

Tunnelier de Marc Isambard Brunel

Les travaux de forage du tunnel, destiné initialement au trafic hippomobile, commencèrent en février 1825, et consistèrent d’abord à creuser un puits vertical de 15 mètres de diamètre sur la rive de Rotherhithe. Ce puits fut achevé en novembre 1825, et le tunnelier fut ensuite assemblé au fond de la cavité.

Le bouclier, de section rectangulaire, se composait de douze cadres assemblés côte à côte, chacun d’eux pouvant être avancé indépendamment des autres. Chaque cadre contenait trois compartiments, l’un au-dessus de l’autre, chacun assez grand pour qu’un homme puisse y creuser le tunnel de face. Tout le dispositif pouvait accueillir 36 mineurs.

Lorsque suffisamment de matière avait été extraite par les ouvriers, le cadre pouvait être déplacé vers l’avant pour permettre la poursuite du forage. Des maçons suivaient la progression du bouclier. Sept millions et demi de briques furent nécessaires pour tapisser les parois de l’ouvrage.

Dès le début, le tunnel fut la proie de constantes inondations en raison de sa proximité avec le lit du fleuve. C’était la première fois qu’un tunnel était creusé en-dessous d’une voie navigable et les ingénieurs durent affiner leurs techniques tout au long des travaux.

Victime de multiples incidents qui causèrent d’innombrables retards, la Thames Tunnel Company vint à manquer de fonds et, malgré les efforts déployés pour réunir de nouveaux investissements, le tunnel dut être fermé en août 1828. Brunel démissionna alors de son poste.

illustration satirique Thames Tunnel, 1827

Illustration satirique, 1827.

 

Un prêt du gouvernement anglais permit cependant aux travaux de reprendre en 1840. L’ancien bouclier de 80 tonnes fut remplacé par un modèle encore plus imposant, de 140 tonnes. Mais les conditions de travail furent tout aussi pénibles. De nombreux mineurs furent victimes d’infections causées par les eaux usées des égouts qui trouvaient dans ce tunnel une nouvelle voie d’écoulement.

Le 24 mars 1841, à la suggestion du prince Albert, Marc Isambard Brunel fut anobli par la jeune reine Victoria. Le prince, féru de technologie, manifestait un vif intérêt pour les progrès de l’ouvrage.

Le tunnel atteignit enfin la rive de Wapping le 1er août 1842. Il aura fallu 17 longues années pour venir à bout de ce projet titanesque. Le Thames Tunnel était long de 396 mètres, pour 11 mètres de largeur et 6 mètres de hauteur, creusé à une profondeur de 23 mètres en-dessous de la surface du fleuve (telle que mesurée à marée haute).

Le Thames Tunnel fut inauguré officiellement le 25 mars 1843. Dans les quinze semaines qui suivirent l’ouverture, un million de personnes vinrent visiter l’ouvrage. Le 26 juillet 1843, la reine Victoria et le prince Albert s’aventurèrent eux aussi dans l’obscurité des profondeurs. Bien que destiné à accueillir le trafic hippomobile, le tunnel fut au final exclusivement réservé aux piétons.

Visiteurs ébahis dans le Thames Tunnel.

Visiteurs ébahis dans le Thames Tunnel.

Après l’achèvement du Thames Tunnel, Marc Brunel fut victime d’un accident vasculaire cérébral. Il n’accepta plus aucune mission mais aida son fils Isambard Kingdom Brunel (concepteur du paquebot Great Eastern) dans ses différents projets.

En 1865, l’East London Railway Company racheta le Thames Tunnel pour la somme de 200.000 livres sterling et, quatre ans plus tard, les premiers trains purent l’emprunter. Par la suite, le tunnel fut incorporé au métro de Londres et il est encore en usage sur la ligne London Overground.

L’importance historique du Thames Tunnel fut reconnue en 1995, lorsque la structure fut déclarée monument protégé. La construction du Thames Tunnel avait démontré qu’il était bel et bien possible de creuser un tunnel sous une rivière, malgré le scepticisme des ingénieurs de l’époque.

plaque commemorative thames tunnel 1843

Plaque commémorative

Pour en savoir plus sur le Thames Tunnel, vous pouvez visiter le Brunel Museum à Rotherhithe. Le premier puits vertical a été transformé en espace de performance artistique en 2016. Je vous invite à lire un article du Huffington Post, qui retrace les travaux effectués.

Puits vertical d'accès au Thames Tunnel

Puits vertical d’accès au Thames Tunnel.